Dans son essai « Prendre la route », Alexandre Schiratti retrace l’histoire du vélo et de ceux qui l’ont enfourché avant lui pour satisfaire leur désir d’évasion. Géographe, auteur et adepte de la petite reine, il décrypte notre attrait croissant pour le vélo comme moyen de voyager autrement.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Alexandre : J’ai 36 ans, je suis géographe et auteur du livre « Prendre la route », paru en 2022 aux éditions ARKHÊ. Je suis diplômé d’un master en géographie des transports de l’université de Cergy Pontoise, en lien avec Paris Sorbonne. Dans ma carrière professionnelle, je me suis beaucoup intéressé à la problématique des mobilités urbaines.
Quelle est ton histoire avec le vélo ?
Alexandre : Je suis un pur citadin. J’ai grandi et je vis toujours en ville. Le vélo c’est avant tout mon principal moyen de déplacement depuis que je sais pédaler. Plus tard, j’ai été initié par mon père au voyage à vélo. Progressivement, c’est devenu une activité que je pratique avec plaisir quand j’ai le temps, été comme hiver, depuis plusieurs années. Le vélo, pour moi, c’est un instrument politique, culturel presque spirituel et un instrument d’aménagement du territoire. En tant que géographe, j’y suis particulièrement sensible et c’est justement ce qui m’a donné envie de m’y intéresser de plus près au point d’écrire un livre.
Qu’est-ce que la pratique du vélo t’apporte ?
Alexandre : Avant tout, le vélo me permet de prendre l’air quotidiennement dans une vie urbaine où l’on passe malheureusement trop de temps à l’intérieur. Et puis, c’est la liberté, le sentiment qu’on peut aller partout, quand on veut, de manière complètement autonome et en silence. C’est cette liberté et cette envie de découverte qui m’ont motivées un jour à enfourcher mon vélo, partir de chez moi et prendre la route.
As-tu réalisé des voyages à vélo en France ou en Europe ?
Alexandre : Oui, j’ai réalisé plusieurs voyages en France, la plupart en partant de chez moi, depuis Paris. Vers l’est, l’ouest, le sud, en Espagne, en Belgique, ou plus récemment jusqu’en Angleterre. J’avais 25 ans lorsque j’ai réalisé mon premier voyage à vélo. C’était de Paris jusqu’au massif des Corbières en traversant tout le Massif central. A cette époque-là, j’ai vraiment été subjugué par des petites routes de campagne totalement perdues, dans des régions que je ne connaissais pas du tout, sur les Causses par exemple. Cette expérience m’a profondément marquée et m’a clairement donnée envie de poursuivre la pratique du vélo pour multiplier les aventures.
Peux-tu nous dire quelques mots sur ton ouvrage « Prendre la route, une histoire du voyage à vélo » ?
Alexandre : Ayant fait quelques voyages à vélo et étant d’une nature très curieuse, je me suis posé la question de savoir qui étaient les pionniers des voyages à vélo, ceux qui avaient fait ces parcours avant moi. Qui étaient-ils ? Quelles étaient leur motivation ? Quel était leur rapport à l’effort ou aux paysages qu’ils traversaient ? J’ai commencé par chercher un livre de référence sur le sujet et j’ai été assez surpris de trouver pléthore de livres sur l’histoire du cyclisme sportif mais aucun, ou très peu, sur l’histoire du voyage à vélo. Et donc je me suis dit : pourquoi ne pas écrire un livre sur le sujet ! J’ai proposé l’idée aux éditions ARKHÊ qui ont tout de suite dit oui et m’ont soutenu dans ce projet. Je me suis dit que cette histoire méritait d’être racontée. Dans l’ouvrage, je retrace deux cent ans d’histoire du vélo à travers le prisme du voyage. Depuis l’invention de cette étrange machine nommée vélocipède en 1818 jusqu’à aujourd’hui pour analyser les tendances contemporaines et comprendre le retour en grâce du vélo depuis une vingtaine d'années.
Tu abordes de manière très documentée l’histoire du voyage à vélo. Dans tes recherches, qu'est-ce qui t’a marqué ?
Alexandre : Alors le point de départ, c’est une histoire qui m’a particulièrement marquée : l’épopée de François Cavanna qui raconte dans son livre autobiographique, les Russkoffs, paru dans les années 1980. C’est un livre que j’ai lu il y a quelques années, bien avant de me lancer dans mon projet d’écriture. C’est l’histoire du jeune François Cavanna, qui a 16 ans à l’époque. On est en 1940 et à l’arrivée des troupes allemandes à Paris, comme des millions de français, il fuit vers le sud, sur un petit vélo demi-course pas du tout adapté aux routes défoncées de l’époque. Il raconte le voyage d’un aventurier malgré lui, ordinaire, poussé par l’histoire à entreprendre ce long voyage vers la zone libre. Ces quelques dizaines de pages sont magnifiquement écrites et je m’étais dit à l’époque que j’aimerais creuser l’épisode de l’exode de 1940 à vélo, qui occupe d’ailleurs quelques pages de mon livre.
Pourquoi voit-on sur la couverture du livre une femme au guidon d’un tandem ? Tu penses qu’il y a eu des exemples dans l’histoire ?
Alexandre : Quand avec mon éditeur, on a reçu les premiers croquis de l’illustratrice pour la couverture du livre, j’ai tout de suite remarqué la femme conduisant le tandem... A l’époque, c’était plutôt l’homme devant, en tout cas je n’ai trouvé aucun exemple, ni dans les récits, ni dans les photos, témoignant d’une femme en position avant sur un tandem avec un homme derrière elle. Comme la place des femmes occupe une partie assez importante de mon livre et de mes recherches, alors on a décidé, un peu comme un clin d’œil, de garder la proposition initiale qui était celle d’une femme pilotant un tandem !
Comment définirais-tu la culture vélo aujourd’hui ?
Alexandre : Depuis une vingtaine d‘années, le retour en grâce du vélo montre que la pratique est en train grandement de se démocratiser, avec à mon sens un phénomène de fond. On n’a plus besoin d’être un passionné de vélo et de s'entraîner à l’année pour partir prendre la route quelques jours l’été, une semaine, un mois ou plus. A mon sens, cette tendance est évidemment motivée par la quête d’un tourisme différent, plus lent, plus authentique, plus proche de la nature et de la géographie des régions qu’on traverse. Finalement, à vélo, on se trouve à la bonne vitesse pour observer le monde autour de soi. Cela correspond aussi à l’idée que le trajet fait partie intégrante du voyage. C’est aussi motivé par l’envie d’avoir une empreinte sur son milieu plus limitée, on peut parler de l’empreinte carbone par exemple mais aussi de l’empreinte touristique plus globale. La force du vélo, c’est quand même de se fondre parfaitement dans son paysage, d’être un mode de transport autonome et silencieux. Grâce à sa monture, le cyclo-voyageur réussit finalement ce miracle d’être un touriste sans être un consommateur.
Qu’est-ce que tu aimerais voir changer aujourd’hui en France sur la problématique de la mobilité pour mettre plus de gens en selle ?
Alexandre : J’ai eu l’occasion ces dix dernières années de parcourir la France de long en large et en travers, et il y a vraiment quelque chose qui revient de manière assez récurrente, c’est la difficulté de se déplacer à l’approche des petites villes ou des villes moyennes. C’est donc vraiment une urgence qui me paraît essentielle dans les politiques de mobilité. Essayer d’améliorer la qualité des déplacements à vélo dans ces territoires-là ; l’échelle y est assez pertinente car les déplacements sont de relative courte durée. Très souvent, ces petites villes ou villes moyennes sont bâties autour d’axes rapides avec de nombreuses coupures urbaines, des infrastructures routières inhospitalières pour les vélos et, au pire, comme j’ai pu le voir beaucoup trop souvent, carrément dangereuses. Si ces vingt dernières années, on a vu les centres des grandes villes se doter de belles infrastructures cyclables, c’est relativement peu le cas dans les périphéries et les villes moyennes, où résident près des deux tiers de la population française. Si j’aimerais voir changer quelque chose ces prochaines années, ce serait les politiques de mobilité sur ces territoires pour qu' il y ait de plus en plus de déplacements à vélo dans ce type d’endroits.
Quels sont tes futurs projets liés au vélo ?
Alexandre : Une adaptation de « Prendre la route » en bande dessinée ! Mon livre a eu la chance d’avoir une très belle diffusion dans le grand public et une diffusion presse assez conséquente, largement au-delà du cercle des passionnés de vélo. J’y raconte non seulement les aventures des pionniers et de l’aventure du voyage à vélo mais j'ai aussi voulu en faire un livre sur l’histoire sociale et culturelle du vélo et voir les répercussions que cette histoire peut avoir dans notre quotidien. Et je pense que c’est à ça que le public a été sensible. Donc la prochaine étape, c’est d’essayer d’en parler au plus large public possible et l’adaptation du livre en bande dessinée me parait une bonne idée. J’ai eu la chance de rassembler pendant mes recherches un corpus d’images assez conséquent qui sont autant de sources d’inspiration pour raconter cette histoire en image de manière plus graphique et d’essayer de la partager avec le plus grand nombre possible.
Pour aller plus loin : Alexandre Schiratti, Prendre la route: Une histoire du voyage à vélo, Éditions Arkhê
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