Les Échappées, le vélo pour tous !

Sophie
3/10/2022
Lecture 11 min.

C’est l’histoire formidable de deux femmes, Louise Roussel et Océane Le Pape, qui ont entrepris un périple de 3 000 km à travers la France pour aller à la rencontre d’autres passionnées qui roulent, et revendiquent, chacune à leur manière, les joies que leur procure le vélo. Leur film, Les Echappées, est une ode puissante à la liberté !

Louise, Océane, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Les Échappées : nous sommes deux voyageuses, nous avons 31 et 33 ans, et avons réalisé ensemble un film documentaire qui s’appelle Les Échappées. En 2021, nous sommes parties pour un tour de France de 3 000 km à vélo, à la rencontre des femmes, assos, collectifs qui roulent, travaillent et luttent pour ouvrir la voie. Notre film aborde de nombreuses questions : comment les femmes peuvent s’approprier l’espace public, la mécanique, le sport et l’aventure ? Quels sont les freins et les leviers pour changer ça ? Et le tout à travers notre voyage et notre propre expérience du voyage à vélo.

 

Quelle place tient le vélo dans votre vie ?

Les Échappées : une grande place. J’ai fait de longs voyages, seule, à vélo jusqu’en Suède ou encore Budapest, participé à des évènements longue distance où peu de femmes étaient sur la ligne de départ et j’ai travaillé pour une marque de vélo. On fait du vélo pour se rendre au travail, et on utilise surtout comme un moyen de déplacement. On adore rouler en ville à vélo au quotidien.


Comment est née l’idée d’un départ sur les routes de France à vélo au printemps 2021 à la rencontre des femmes qui roulent ?

Les Échappées : l’idée de ce film est partie du livre de Louise, « A vos cycles » qui traite déjà des femmes et du vélo, à travers son expérience. Dans le livre, il y a aussi des fiches pratiques et des portraits de femmes. Quand Louise l’écrivait, nous avons eu de nombreuses discussions et nos deux regards se complétaient sur combien le vélo aide les femmes à prendre leur place, notamment dans l’espace public, en ville, et aussi sur ce qui se joue dans l’enfance. On a eu envie d’aller plus loin avec ce projet, en rencontrant plus de femmes qui jouent un rôle dans ce domaine – voyageuses, vélotaffeuses, cadreuse, élue, directrice d’asso… pour en faire un film qui est le fruit de nos deux regards. Surtout, le vélo est devenu pour nous un outil pour parler de féminisme, car il permet d’aborder plein de thèmes différents : l’appropriation de l’espace public, comment les villes sont construites, les différences salariales dans le monde professionnel, l’imaginaire à construire autour des aventurières, la mécanique considérée comme « un métier d’homme », le manque de médiatisation du sport féminin, les ateliers en non-mixité…

 

Comment avez-vous construit l’itinéraire de votre traversée ?

Les Échappées : avant de partir, on a préparé pendant plusieurs mois le scénario de notre film, ce qu’on voulait aborder. A partir de ce travail, on a contacté plein de femmes, fait des visios avec elles pour approfondir nos connaissances et prévoir nos rencontres pendant notre « Tour de France ». Il y avait les femmes qu’on connaissait déjà. Celles dont on a entendu parler. On a aussi contacté la Fédération Française de Cyclotourisme qui nous a mis en contact avec des femmes partout en France et enfin on a lancé un appel sur les réseaux sociaux. On nous a conseillé d’aller rencontrer tel atelier mécanique à Bordeaux, tel collectif à Paris, telle cycliste engagée à Montpellier, telle ancienne championne à Toulouse etc … On a programmé les rencontres et c’est comme ça qu’on a pu tracer notre itinéraire.  

 

Lors de vos rencontres, quelles sont les réalités les constats qui vous ont frappé sur la place des femmes dans le cyclisme ? Qu’est-ce que cela dit de notre société ?

Les Échappées : dans les villes les plus cyclables de France, les femmes représentent 40% des cyclistes, les hommes 60%. A la Fédération Française de Cyclotourisme, les femmes sont 20%, à la Fédération de Cyclisme cela tombe à 10% et sur certains évènements d’ultradistance, elles ne sont plus que 3%... Il n’y a que deux femmes cadreuses (c’est-à-dire qui fabriquent des vélos) en France.

Dans le sport de haut niveau, le Tour de France femmes a disparu pendant 20 ans, et les femmes n’étaient pas considérées comme professionnelles avec tout ce que cela implique : pas de salaire, pas de cotisation retraite, précarité quand elles tombaient enceinte… Tout cela bouge, mais bouge doucement. Récemment, la FFC a emmené aux mondiaux en Australie l’équipe hommes en business class, et les femmes en classe éco…ça fait sourire, ça parait anecdotique mais c’est finalement tristement symbolique. 

Tous ces chiffres et ces réalités montrent combien le sport et l’aventure sont encore aujourd’hui dans notre société réservés et valorisés par et pour les hommes. On est conditionnées dès la petite enfance à ce que le sport et l’aventure ne soient pas pour nous, cantonnées aux sports dits féminins et aux activités douces. Mais les choses bougent et c’est ce qu’on a voulu montrer dans Les Échappées, avec des femmes qui ouvrent la voie…

 

Au total, vous avez rencontré plus de 200 femmes en 2 mois. Si vous deviez nous parler d’une rencontre marquante pendant ce voyage, laquelle évoqueriez -vous et pourquoi ?

Les Échappées : impossible de faire un choix, elles nous ont toutes marquées d’une manière ou d’une autre. Mais on pourrait parler de Gaëlle Bojko, qu’on a rencontrée à Nantes et qui, à seulement 23 ans, a traversé le lac Baïkal gelé, seule à vélo, il y a deux ans. C’est la première cycliste à l’avoir réalisé. Et elle en parle avec une simplicité et une humilité déconcertante. On a besoin de plus de Gaëlle sur les écrans, dans les livres, les podcasts… Pour que les petites filles et les ados puissent se dire « il n’y a pas que des aventuriers, les aventurières aussi existent et je peux le faire si j’en ai envie » Changeons nos imaginaires sur l’aventure !


Vous revendiquez la dimension politique de la pratique du vélo, pouvez-vous nous en dire plus ?

Les Échappées : les inégalités sont toujours présentes, touchent tous les milieux et sont autant de barrières à ce que les femmes prennent leur place dans la société. Le vélo est un bon outil pour en parler. Lors d’une table ronde à Lyon pendant notre tour de France, des femmes de milieux sociaux très différents ont échangé sur la charge mentale qui pesait dans leur quotidien et ne leur permettait pas de « s’éclipser » quelques heures dans la semaine pour avoir du temps pour elles et aller rouler. 

Mais notre tour de France montre aussi que les solutions existent et que plein de femmes ouvrent la voie et pensent des actions pour que toutes aient leur place :

 - changer les cours de récréation pour que les filles et les garçons s’approprient l’espace ensemble et pas avec un terrain de foot central monopolisé par des petits garçons en forme physiquement,

 - créer un syndicat pour les femmes coureurs professionnelles,

 - documenter ses aventures à vélo pour que les aventurières rentrent dans l’imaginaire collectif et inspirent des femmes qui n’auraient pas osé,

 - se lancer dans la fabrication de vélos et faire sa place dans ce « milieu d’hommes »,

 - former les femmes aux concertations sur les aménagements cyclables en ville pour que leurs voix soient entendues et faire des villes plus apaisées,

 - organiser des « vélorutions féministes » dans les grandes villes pour véhiculer dans la joie l’appropriation de l’espace public,

Voilà autant d’exemples que l’on montre dans le film et ce que l’on fait dans le monde du vélo pour l’égalité femmes/hommes, on peut le transposer aux autres domaines évidemment. Valérie Masson Delmotte, co-autrice des rapports du GIEC, a dit récemment dans une interview qu’elle se déplaçait à vélo, et que cela lui permettait « d’habiter le paysage ». On se dit que plus il y aura de femmes sur des vélos, plus elles habiteront le paysage, au sens propre comme au figuré…


Votre documentaire, Les Echappées, est sorti en mars. Comment a-t-il été accueilli ?

Les Échappées : très bien ! La première projection que nous avons faite était dans un collège en Picardie devant des classes de 5ème et de 4ème. C’est aussi pour ça qu’on a fait le film, pour aller échanger avec des jeunes, qui ne sont pas accoutumés au sport, au vélo ou au féminisme. Parce que ce sont les citoyens et les décideurs de demain. On multiplie les projections dans les collèges et les lycées. En parallèle, on organise des projections dans les cinémas partout en France en lien avec des associations et les échanges sont toujours très riches ! On a déjà fait une quarantaine de projections.

La prochaine aventure, vous l’avez déjà en tête ?

Les Échappées : oui ! Pendant notre tour de France à vélo, il a plu les trois premières semaines mais nous étions tellement portées par ce projet qu’on n’a jamais envisagé d’abandonner. Mais en contrepied de ces premières semaines contre les éléments, nous aimerions faire un 1000 km vent dans le dos ! Avec juste une carte, en s’orientant en fonction du vent, pour montrer à quel point le vélo c’est de la voile.

 Sur les autres projets, on vous en dira plus bientôt !

Sophie
Ecrit pour Itinérances. Le blog du voyage en quête de sens

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